Cr. 02 octobre 2016

ODJ :  I   – Entre les deux rives : Odyssée des alternatives en voiliers sur 6 territoires (COP22)
          II   - Citoyenneté mondiale et transition
         III   - Echange sur le FSM de Montréal

Présents : Anne-Marie Codur (USA), Debora Nunes, Emerson Sales, Marcos Arruda et Marie-Hélène (Brésil), Enzo Fazzino (Gabon) ; Patrick Viveret, Henryane de Chaponay et Nadine Outin (Paris), Geneviève et Jean-Jacques Ancel, Simone Kunegel, Guillaume Durin et Christine Bisch (Lyon).

Remarque préalable :
Voyage aventure au Brésil (Mato Grosso) prévu en août ou septembre 2017 avec Siddhartha : parcours et agenda à co-construire.

  
  I – Entre les deux rives : Odyssée des alternatives en voiliers, sur 6 territoires  (COP22)

Guillaume présente l'Odyssée Ibn Battuta : Barcelone (19.10), La Seyne sur mer (22.10),  Porto Torres, Sardaigne (23.10), Tunis (28.10), Gabès (29 et 30.10), Alger (4.11), Tanger (10.11). Tous se retrouveront ensuite à Marrakech (12.11) pour le Forum de la Terre. Appel lancé pour soutenir la justice sociale et climatique (question de l’adaptation qui concerne le monde entier : réagir aux signaux faibles… Ne pas attendre le basculement ! La mitigation fait partie de la question de l’adaptation). Pétition à signer. Soutien de différents mouvements, fondations, associations de citoyens, de ruraux, de pêcheurs, …de l’Ouest de la Méditerranée. Objectif : étendre l’action à l’Est de la Méditerranée l’an prochain. Le serment de Paris servira d’étendard et fera écho tout au long du périple.

Remarque : pas de Dialogues à Alger cette année, finalement.

Patrick interviendra à Marrackech mi-décembre, après la COP22, dans un cadre institutionnel, pour le Réseau francophone de l’Evaluation, sur les critères d’évaluation.

Par ailleurs, un projet d’agence de notation citoyenne et de bourse des vraies valeurs est en gestation. Un film va sortir là-dessus prochainement par Vincent Glenn.

Marcos insiste sur l’évaluation indispensable depuis le passé (COP21, Rio 2012…) C’est absurde de refuser de regarder en arrière. Le réseau Jubilé, au Brésil, a publié en portugais une étude sur l’économie verte : http://cirandas.net/deboranunes/. Un Forum sur le changement climatique et la justice sociale a lieu dans chaque Etat et un Forum national aura lieu fin octobre.

 

  II  - Citoyenneté mondiale et transition

Patrick, Anne-Marie et Emerson parlent du débat du 24 septembre sur la citoyenneté mondiale (Pouvoir citoyen et Dialogues) qui a renforcé les liens avec la Fondation pour le progrès de l’homme. Ville-monde, assemblée constituante, bon usage des outils numériques… Le pouvoir citoyen mondial est une expérience irréversible : sentiment de ne pas être seul, de partager du sens, envie accrue de continuer. Désir partagé d’humanité et de présence ici et maintenant. , lien, énergie décuplée, confiance retrouvée…
On canalise l’énergie du réseau monde. Les participants présents étaient sensibles au parler vrai (US, Brésil…), se sentaient directement impliqués dans ce qui se passait.

L’alternative aux peurs ouvre sur un saut qualitatif.

Enzo adhère totalement à tout ce qui se dit et parle de la crise post-électorale au Gabon et du réseau panafricain des jeunes (18/30 ans) pour une culture de la paix, basé au Gabon. Le système est fondé sur l’organisation de peurs à tous les niveaux mais on observe des émergences fortes. Les jeunes ont besoin de se connecter pour dépasser leurs peurs. L’invisible est très présent dans la vie au quotidien.  Geneviève parle d’Auroville et des prochains Dialogues en Inde (Sadhana forest début février Dialogues des jeunes générations), en Ethiopie et au Sénégal. Anne-Marie invite Enzo à prendre contact avec Eric, au Bénin, et avec Christine Adjahi.

III   - Echange sur le FSM de Montréal

Références : Textes de Chico (1) et de Gus (2) et Déclaration de Casablanca (3).

Patrick insiste sur la différence entre le FSM et le Conseil international (à transformer ou à dissoudre… ? )
Elément positif ces dernières années : la multiplication des FS territoriaux et thématiques. Mais plusieurs dysfonctionnements ont été mis en évidence à Montréal : 250 refus de visa pour des personnes venant de pays du Sud ; affrontement de conceptions différentes et ambiance belliqueuse. Le forum doit-il rester dans une logique d’espace uniquement ou déboucher sur un mouvement, prendre des décisions ? Le mouvement altermondialiste est resté une nébuleuse. Faut-il laisser venir la demande de FSM à partir des territoires et des thématiques ? Avec quelle périodicité ?  Dakar dans deux ans ?

Debora regrette le changement d’esprit et les nombreuses tensions, à Montréal. Elle observe une profusion d’initiatives, de partages humains qui convergent et un espace de citoyenneté planétaire qui va dans un autre sens ! Quel rôle donner aux Dialogues, dans ou à l'extérieur du FSM ? Le FSM 2016 a présenté un calendrier d’actions collectives dans le monde. 35 000 inscrits ont été contactés pour signer le Serment de Paris.

Marcos pense que les Dialogues doivent avoir un rôle d’influence. Il est important de faire contre-poids culturel à Davos (articulation des élites mondiales). La multiplication des forums thématiques et territoriaux permet d’approfondir les sujets et les actions. Mais le risque est une fragmentation, la perte de vision unifiée intégrale. Le Serment de Paris devrait permette d’articuler les mouvements autour d’une constituante planétaire, complexe mais essentielle. Raphaël, Carminda… tous les jeunes contribuent à cet effort.

Henryane insiste sur l’importance des rencontres territoriales et de l’articulation local / mondial car les thématiques sont formulées différemment selon les territoires et cela nourrit le FSM. Sinon, on frôle la stratosphère…

Christine est d'accord et aimerait pouvoir sortir de la logique de guerre, aller vers plus de tolérance et d’alliances. Pourquoi ne pas essayer de se faire entendre aussi à Davos et auprès des acteurs économiques ? Marcos pense que ce n’est pas possible. Seules quelques ONG sont invitées, à Davos…

Debora souligne l’urgence de trouver de nouveaux modèles politiques. La crise profonde du FSM va contre la logique du FSM. Des gens honorables enragent contre Chico ! Chico se retrouve en minorité… Le CI du Forum n’a pas les outils méthodologiques pour avancer.  Avec Alba, 30 personnes de 7 pays ont participé à une initiation chamanique pour améliorer le monde. L’union des gens au pouvoir, des élites est fondée sur le pouvoir et l’argent. C’est simple. Quand les intérêts divergent, il y a affrontement, car la concurrence est acceptée. C’est clair, au moins. Le plus fort gagne. De notre côté, nous avons beaucoup de valeurs et d’objectifs communs mais nous avons tendance à refuser le combat et même le conflit. De nouveaux modèles politiques ouvriraient un espace de conflit. Nous savons nous aimer mais nous ne savons pas suffisement apprenre à vivre le conflit et l’évaluer. Il faut travailler les ombres de notre mouvement de lumière pour reprogrammer le monde en dépassant les conflits !

Patrick propose de trouver des alliés plutôt que d’entrer dans le conflit, pour construire un mouvement pour le bien vivre. Chico ne nous demande pas de le soutenir et ce serait mal compris.

Debora dit que les jeunes de Montréal nous le demandent. Que faire pour que notre voix soit entendue ?

Patrick pense qu’il vaut mieux leur dire de venir avec nous construire plutôt que de les appuyer, ce qui serait contre-productif.

Debora reformule : on accompagne le FSM mais on ne participe pas à son destin, aux décisions… Et on les invite aux Dialogues ?

Patrick précise que les Dialogues ne sont pas un mouvement mais un espace. Il faut construire un mouvement citoyen mondial à partir du Serment de Paris.

Debora pense que le Serment est vu comme un document créé par les Dialogues. Notre apport peut être méthodologique. Comment créer un mouvement citoyen mondial avec une logique d’amitié ? En se donnant un objectif concret, en imaginant de nouveaux modèles qu’on offrirait aux autres mouvements ensuite ?

Patrick remarque que les moyens sont très faibles dans les deux cas : il faut trouver des alliés plus puissants, avancer sur un nouveau mouvement politique, organiser des éléments de conflictualité pour contrer les multinationales et autres…

Emerson introduit les nouveaux paradigmes : complexité, incertitude, inclusion et interdépendance, pour dépasser les logiques de guerre.

Marcos propose une réunion tous les trois mois pour travailler les conflits internes de notre réseau. Les élites accueillent mieux le conflit car leur concurrence est naturelle et la coopération sert leur intérêt compétitif. Nous, nous voulons construire la confiance (avantage coopératif). Regardons nos propres ombres en cherchant la convergence, le détachement du résultat et l’équanimité (tranquillité dans le désaccord). Expérimentons et évaluons des chemins différents, partageons le pouvoir !

Les conflits font avancer…  C’est quand ça semble impossible que le défi devient intéressant…Nous pourrions nous appuyer sur une mosaïque d'actions positives et chercher à influencer les grandes organisations de l’intérieur…Les citoyens travaillent et sont impactés par tous les acteurs, pas seulement par les organisations altermondialistes...

Debora propose de changer et... faire changer de l'intérieur ... Faire rire nos petits démons sans nous blesser... Les mettre sur la table dans une logique de laboratoire...Vivre à fond nos désaccords dans l'amitié... N

Henryane souhaite parler davantage des territoires, nous appuyer sur les pratiques locales réussies...

Geneviève propose de pratiquer et d'apprendre davantage grace à la CNV 
- Le Livre de Françoise Keller Pratiquer la communication non violente,  Guérir la planète en transmettant nos savoirs, en mettant en lien, en ouvrant des espaces... Sans dramatiser nos difficultés internes ? Cultiver l'arbre positif. 
- le livre de Mireille Delmas Marty Aux 4 vents du monde (voir résumé à la fin de ce compte-rendu issu de Médiapart).

Peut-on travailler les égos par Skype ? 1 rencontre trimestrielle par Skype ? Affiner notre méthodologie avec Alba en l'expérimentant au Brésil. En plus des réunions mensuelles ? Faire une proposition pour novembre ?

But : Apprendre à être mieux pour servir mieux. Risque : nombrilisme / service.
Blessures insondables mais tous conscients et vigilants, sans peur.

Conclusion : méditation avec Debora…

 

(1) E la nave va, Chico Whitaker

Pendant la saison d’évaluation vécue maintenant par le Forum Social Mondial, la tendance est de concentrer notre attention sur son événement principal, c'est-à-dire, sur le Forum Social Mondial proprement dit.  Quinze ans d’éditions de ce Forum est une bonne période pour faire des bilans. Mais beaucoup considèrent qu’une bonne révision est opportune non seulement par cette raison mais parce que sans doute le FSM n’a plus la force qu’il avait atteint, en réunissant 150 000 personnes à Porto Alegre, cinq ans après le premier Forum, ou lorsque il a eu autant de participants à Belem, en 2009. Et qu’il aurait alors disparu de nombreux radars, ce qu’exigerait une réflexion sur quoi faire pour qu’il ait la pertinence qu’il a eu.
D’autres, à leur tour, considèrent qu’une révision est nécessaire parce que le monde a beaucoup changé depuis que le FSM a été proposé par un groupe d’organisations et mouvements sociaux brésiliens. Et il faudrait une ré-adéquation de cette proposition face aux problèmes et aux défis actuels du monde et à l’évolution de l’action des forces politiques. Aurions-nous besoin de changer le caractère du Forum ainsi que la façon dont il est réalisé, en ne respectant plus ou en révisant sa Charte de Principes, élaborée à partir de la réussite du premier en 2001 ?

Ce débat, qui se développe à l’intérieur et autour du Conseil International du Forum, a conduit à mettre en question également la fonction et le mode de travail de cette instance même, créé également après le premier Forum. Et le CI vit depuis plusieurs années une grande crise d’identité et de fonctionnement, après avoir joué un rôle essentiel dans les décisions prises pour la réalisation de ces événements dans plusieurs endroits de la planète et sur la méthodologie de son organisation.
Mais j’ai vécu et suivi des expériences qui me font croire qu’il faudrait nous pencher aussi sur ce que nous avons appelé le « processus du FSM », au-delà des événements mondiaux et de la crise même du CI. Ce « processus » est l’ensemble des forums sociaux régionaux, nationaux et locaux, et maintenant aussi Thématiques, qui surgissent où des militants veulent bien les organiser. Et pour caractériser ce que se passe avec ce « processus », j’utiliserais l’image créée par le titre d’un film de Fellini, que j’ai pris comme titre de ces réflexions : e la nave va.
Cette expression à le même pouvoir de synthèse de l’expression populaire moins gentille qui dit « la caravane avance malgré les chiens qui aboient » : elle résume bien la façon dont quelque chose qui se fait ou se passe suit son chemin avec sa propre force sans être dérangé.
J’associerais le « processus du Forum Social Mondial » à la première de ces expressions, plus légère et plus proche de l’ambiance de bonne humeur et sans grincements de dents qu’on arrive à créer dans les FSM, en cherchant à les libérer de luttes internes de pouvoir.
Il devient de plus en plus compliqué de décider où devra se réaliser l’évènement principal de ce processus à chaque deux ans - périodicité adoptée avant le FSM de Belém, en 2009. Les discussions à ce sujet au sein du CI courent le risque de l’immobiliser encore plus. Et certains de ses membres ont même déjà soulevé la possibilité d’organiser l’événement FSM moins souvent, c'est-à-dire tous les trois ans au lieu de tous les deux ans.

Alors, ce n’est pas la même chose qui se produit avec le processus, qui semble avoir déjà entré dans la catégorie des Biens Communs de l’humanité, dont la caractéristique fondamentale est qu’ils n’ont pas de propriétaire et sont également au service de tous. Le « processus du FSM » se développe de façon entièrement autonome, avec sa propre force, sans dépendre de personne, ni de décisions de commandants ou des désirs des insatisfaits, et sans être non plus contrôlé par personne. Il y a plusieurs « Forums sociaux » qui se réalisent dans le monde entier, dont le CI ne prend connaissance que si quelqu'un lui apporte des informations - comme, si ma mémoire est bonne, dans sa réunion à Dakar, en 2011, quand nous avons été surpris, positivement, avec l’information, apportée par Gus Massiah, de plus de 50 Forums Sociaux réalisés l’année précédente. La majorité des membres du CI n’avait pas eu connaissance de la plupart de ces Forums Sociaux.
Je dirais que, tout en continuant nos discussions sur le choix des lieux de réalisation des FSM, ou sur l’amélioration du CI pour qu’il réponde de façon adéquate à ses fonctions en ce qui concerne les événements mondiaux, nous pourrions peut-être aider davantage les Forums Sociaux tenues dans le « processus du FSM », dans lesquels c’est la dynamique des Biens Communs – sans propriétaires - qui leur donne vie.
Dans la mesure où ces Forums sociaux sont effectivement des « espaces ouverts horizontaux »  sans personne qui les « dirigent », dans lesquels il y a le respect de la diversité et l’émergence de nouvelles articulations, alliances et réseaux est facilitée, nous serons en train de construire la force dont nous avons besoin pour faire face au système qui domine le monde ; et qu’il faut qu’elle soit beaucoup plus grande que celle dont nous disposerons en continuant fragmentés et en concurrence les uns avec les autres dans nos propres terrains. L’effort de construction de l’unité dans la diversité est en fait la grande nouveauté politique de la proposition faite par le Forum Social Mondial.
L’événement mondial est évidemment nécessaire et doit se réaliser régulièrement, parce qu’il résume et symbolise une alternative pour le monde : celle que la société civile propose à une Humanité de plus en plus angoissée avec les tristes perspectives politiques, écologiques et humaines découlant de la domination de la planète par le capital. Mais cet événement – qui sera toujours le principal - ne représentera une avancée vers l’ « autre monde possible » que si les luttes des mouvements sociaux qui y participent avancent en fait dans chacun des multiples fronts dans lesquels nous devons surmonter cette domination.
Au sein du « processus FSM » les Forums Sociaux Thématiques, de portée géographique variable, sont alors une nouveauté qui le dynamise encore plus. Ils commencent à se multiplier, en répondant à la nécessité de concentrer les « espaces ouverts » sur des luttes spécifiques, de façon à pouvoir avancer de façon plus approfondie, plus précise et plus détaillé dans le lancement d’actions concrètes.
Je vis personnellement une de ces expériences, avec les Forums Sociaux Thématiques sur le nucléaire, qui rassemblent ceux qui, dans différents pays, luttent pour un monde sans bombes atomique ni centrales nucléaires.
A partir de propositions faites dans des activités du FSM de 2015 à Tunis, s’est tenue à Tokyo, un an plus tard, le premier Forum Social Thématique contre l’utilisation civile et militaire du nucléaire. Il a été fait, dans ce Forum, un appel pour la construction d’un réseau mondial anti-nucléaire. Donnant suite à cet appel, un deuxième Forum de ce type et autour de ce thème a été réalisé, encore en 2016, à Montréal, en tant qu’activité du Forum Social Mondial de cette année. Ses participants ont rédigé alors une déclaration qui explique de façon didactique pourquoi nous devons être contre le nucléaire. Les organisations anti-nucléaires françaises discutent maintenant la proposition de réaliser un troisième Forum Social sur ce thème en Europe en novembre 2017.
La France est l’un des pays qui ont réalisé beaucoup de tests avec des bombes atomiques pendant la Guerre Froide, en contaminant avec de la radioactivité des vastes territoires. Elle possède un grand arsenal de ces armes, qui menacent, avec d’autres stocks égaux ou supérieurs possédés par d’autres pays, la continuité même de la vie sur la Terre. Elle est aussi le pays le plus nucléarisé au monde, avec 75 % de son électricité produite par des centrales nucléaires. La possibilité d’accidents comme ceux de Tchernobyl en Russie et Fukushima au Japon est le grand cauchemar du pays, ainsi que le problème non résolu du destin à donner aux tonnes de déchets radioactifs qui s’y accumulent.
Alors, l’une des caractéristiques de la lutte antinucléaire française est exactement sa fragmentation. Les organisations qui agissent dans ce domaine ont des difficultés à s‘entendre entre elles, pour pouvoir s’unir, ce qui les affaiblit face à un ennemi commun très puissant. Un Forum Social Thématique réalisé dans ce pays - et ce sera encore mieux s’il s’étend à l’Europe – aura un rôle très important.
Dans la dynamique lancée dans la discussion du Forum Social Thématique en France, j’ai été récemment en mesure de contribuer avec des notes sur mon expérience dans l’organisation de Forums Sociaux de différents types et niveaux. J’ai pris en compte que la plupart des ceux qui organisent ce Forum n’ont pas participé de Forums Mondiaux, ne sont pas habitués aux nouveautés de l’organisation des Forums Sociaux - une « invention politique », dans l’expression créé par un de nos camarades – et n’ont pas nécessairement une grande connaissance du contenu de la Charte des Principes du FSM. J’enverrai avec plaisir ces notes à ceux qui considèrent, comme moi, qu’il vaut la peine de multiplier les Forums Sociaux dans le monde, pour donner toujours plus de consistance au « processus du Forum Social mondial ». 27/09/2016

 

(2) LE FORUM SOCIAL MONDIAL DE MONTREAL
quelques notes de compte rendu, Gustave Massiah, 25 août 2016

Une appréciation contradictoire

L’appréciation du Forum Social Mondial de Montréal, en août 2016, est contradictoire. La participation des mouvements du Sud a été freinée par les scandaleux refus de visas et la faiblesse du fond de solidarité. Ces problèmes étaient attendus, mais leurs conséquences ont été sous-estimées. Le développement, dans le Nord, du processus des Forums sociaux mondiaux est nécessaire ; il ne peut se faire au détriment de la participation pleine et entière, première même, des mouvements des pays du Sud. La participation des mouvements de différents pays dans Montréal, ville internationale, a permis une certaine diversité des participants, sans pour autant corriger les absences qui ont pesé très lourd.

Il y a eu aussi des avancées et des éléments novateurs. Les débats ont été, dans l’ensemble, de très bonne tenue. La principale raison est le retour, sur les activités du Forum, des Forums thématiques et des mobilisations internationales. Les réseaux internationaux de mouvements se sont renforcés dans beaucoup de domaines qui ont été visibles à Montréal. On a pu le voir dans les tables de convergence dont plusieurs ont été très productives et dans les grandes conférences qui ont été très suivies. Par exemple dans le cas des syndicats, de l’éducation, du droit à l’habitat et des quartiers, des droits des femmes, des migrations, de la justice climatique, des traités de libre-échange, des communs, de l’économie sociale et solidaire, etc. Des rencontres régionales de mouvements ont été très importantes. Celle sur l’Amérique latine a permis de prendre la mesure d’une évolution dramatique. Des rencontres sur le Moyen Orient aussi avec la présence des mouvements palestiniens et de BDS, la conférence sur la Syrie et la référence au Forum social en Irak. On a pu aussi mesurer le dynamisme du processus avec les forums associés : le Forum Social Mondial des Migrations qui a eu lieu à Sao Paulo en juillet 2016, le Forum Mondial des Médias Libres, Le Forum sur la Théologie de la Libération, le Forum des Parlementaires et des élus locaux.

L’avenir du FSM

L’avenir du FSM a fait l’objet de débats très vifs et nombreux. Plusieurs sessions y ont été consacrées et la table de convergence sur l’avenir du FSM a été très suivie.

On trouvera en pièce jointe un dossier sur les premiers résultats d’une enquête menée par intercoll.net sur l’avenir du FSM et, en annexe, un texte sur : « Les Forums Sociaux Mondiaux à la croisée des chemins ».

J’en rappelle la conclusion : Il y a un accord pour élargir le processus avec des forums locaux, nationaux, régionaux, thématiques. Mais, le débat ouvert sur l’avenir des forums est plus profond. De nouvelles formes plus adéquates à la nouvelle situation sont probablement en gestation. La prochaine étape du mouvement altermondialiste nécessite une réinvention complète des forums sociaux mondiaux et du processus des forums.

D’une manière générale, il y avait un accord, actif pour certains, passif pour beaucoup, autour de l’appréciation suivante : l’espace des forums est très insatisfaisant, mais pour l’instant, il n’y en a pas d’autre qui permette une rencontre internationale large des mouvements sociaux qui contestent la domination mondiale néolibérale.  

Quels sont les défis que rencontrent les mouvements sociaux dans la réinvention possible des forums sociaux mondiaux ou dans l’émergence d’une nouvelle dynamique. Citons : l’actualité et les étapes de l’altermondialisme ; la mesure de la nouvelle situation mondiale ; la violence de l’offensive du néolibéralisme ; les révolutions inachevées qui bouleversent le monde ; les mouvements sociaux et citoyens qui constituent les bases sociales de l’altermondialisme ; les alliances avec les différentes couches sociales ; le rôle des formes d’organisation, notamment ce qu’on appelle les ONG ; la démarche stratégique explicitée depuis Belém, celle de la transition sociale, écologique et démocratique ; la bataille contre l’hégémonie culturelle dominante, contre les inégalités, les discriminations, les exploitations et contre les idéologies sécuritaires ; la réinvention du politique. (voir texte en annexe)

L’avenir des forums sociaux mondiaux est dans leur capacité à construire l’espace des débats et des élaborations, des mobilisations et des actions citoyennes, des pratiques alternatives. L’ensemble constitue l’espace d’un projet alternatif d’émancipation.

Le Conseil International (CI)

Le Conseil International (CI) s’est réuni à plusieurs reprises. La réunion formelle s’est tenue le dimanche 14 août de 9H à 18H. Une réunion préparatoire a eu lieu le samedi 13 de 18H à 21H. Une réunion de travail a réuni les membres encore présents à Montréal le lundi 15 août de 9H à 13H. Il y a eu une présence importante de représentants de membres du CI qui n’a pas compensé les absences dû aux refus de visas, notamment pour les membres africains et asiatiques. Un public nombreux de mouvements participants au Forum a assisté aux débats.

La réunion du CI ne s’est pas bien passée. Les débats ont été très tendus avec des moments d’affrontements verbaux très pénibles. Le CI a été interpellé sur trois questions qui ont fait l’objet de débats houleux : la question de la reconnaissance de BDS, la question des visas, la proposition d’une déclaration sur le coup d’Etat au Brésil.

En réalité, le débat sous-jacent a porté sur l’épuisement des formes d’organisation, ou à tout le moins sur leur inadaptation par rapport aux défis liés à la nouvelle situation. Cette question des formes d’organisation doit d’ailleurs être différenciée. Elle n’est pas très en cause au niveau du processus et se révèle assez adaptée pour les forums nationaux, régionaux ou thématiques. Elle est plus fortement posée au niveau des Forums sociaux mondiaux qui restent des rendez-vous importants mais qui ne suffisent plus à porter le processus. Ils sont de plus difficiles à organiser du fait que les mouvements sociaux sont de plus en plus confrontés à des environnements défavorables.

C’est au niveau du Conseil international que la question est la plus difficile. La contradiction est très grande : le processus et les forums sociaux mondiaux ont besoin d’une référence et d’une instance de recours qui ne soit pas une direction. Il faut arriver à un accord sur une nouvelle forme d’organisation du CI et il faut, en même temps, faire face à la situation avec un CI qui ne peut plus compter que sur une partie des mouvements qui l’ont constitué. Nous entrons donc dans une période transitoire pendant laquelle les membres actuels du CI, avec l’appui des forces actives du processus, devront assurer les tâches de la période et entamer un processus de transformation pour l’avenir.

Il y a toutefois un préalable. Parmi les nombreux débats qui agitent les Forums sociaux, il y en a un qui paralyse le CI. Il concerne la manière d’adapter la mise en œuvre de l’horizontalité et du consensus et correspond à deux visions de la situation. Pour certains, il s’agit d’accentuer encore plus un espace horizontal ouvert pour faciliter les rencontres et les convergences. Pour d’autres, il s’agit de renforcer la radicalité des forums en organisant les débats politiques, les prises de décisions et les actions communes. Nous ne pourrons pas avancer si nous ne trouvons pas une forme d’accord ou de cohabitation, au moins provisoire, entre ces deux positions.

Pour préparer la prochaine réunion du CI de janvier 2017, cinq groupe de travail ont été constitués :
- Un groupe de travail sur la mise en place du secrétariat du CI (constitution d’un comité de pilotage avec les grandes régions ; identification des tâches : convocations et ordre du jour des réunions, gestion des listes, site, newsletter ; commissions du CI ; financement du secrétariat assuré par le Comité du Forum Social Maghreb à Casablanca, …)
- Un groupe de travail de mise à jour du Guide des principes d’organisation des Forums sociaux mondiaux (notamment avec la discussion ouverte à partir de la demande de BDS, …)
- Un groupe de travail pour le lancement d’une Assemblée des mouvements en lutte (Assemblée des luttes, des mouvements en lutte ou des mouvements de lutte ? articulation avec l’Assemblée des mouvements sociaux, …)
- Un groupe de travail pour la rédaction d’un texte d’analyse de la situation politique mondiale (appréciation des enjeux et des défis, la pertinence et l’actualité des Forums sociaux mondiaux)
- Un groupe de travail communication (visibilité du processus, site, Forum Mondial des Médias Libres ; …)

La prochaine réunion du CI aura lieu à Porto Alegre, en janvier 2017, probablement entre le 19 et le 22. Il sera organisé à l’occasion du Forum Mondial thématique de Porto Alegre qui pourrait s’élargir à un Forum social régional de l’Amérique Latine. Ce CI discutera de la préparation du prochain FSM (il y a déjà plusieurs propositions : Dakar, Porto Alegre, Barcelone, Kobané au Kurdistan syrien, forum polycentré)

 

(3) DÉCLARATION DE CASABLANCA

Les records de chaleurs, dépassés tout au long de l'année 2016, et la succession de cyclones, d'ouragans, d'inondations, de feu de forêts, de sécheresse, nous rappellent que le changement climatique est une réalité, qui affecte d'ores et déjà des centaines de millions d'entre nous.

Nous, mouvements sociaux et organisations de la société civile, réunis dans toute notre diversité à Casablanca pour lancer la mobilisation en vue de la COP 22 qui se tiendra à Marrakech du 7 au 18 novembre prochains, réaffirmons ainsi notre détermination à agir pour maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 1,5°C - conformément à l'engagement pris à Paris par l'ensemble des chefs d'État et de gouvernement.

À l'issue de la COP21, nous nous étions de notre côté engagés à nous mobiliser, partout où cela serait nécessaire, pour que les lignes rouges d'un futur juste et vivables ne soient jamais franchies. Nous avons honoré et continuerons d'honorer notre promesse.

L'Afrique, hôte de la COP22, subit les conséquences les plus dramatiques et brutales du réchauffement : dégradation de l'environnement et des ressources naturelles, insécurité alimentaire, stress hydrique, augmentation de la pauvreté, risques sanitaires, déplacements massifs de population. Les Africaines et les Africains ne sont pourtant pas responsable du réchauffement. Notre engagement se fait par conséquent au nom de la justice - climatique, mais aussi sociale.

Nous entendons donc poursuivre nos mobilisations, pour :
- sortir de l'ère des combustibles fossiles, et accélérer la transition juste vers un futur 100% renouvelable
- défendre les droits humains et l'égalité réelle, contre toutes les formes de domination et d'oppression, qu'elles soient basées sur le genre, ou l'origine, etc.
- défendre l'agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire, et lutter contre les fausses solutions qui  dépossèdent les paysannes et les paysans de leurs terres
- reconnaître et réparer la dette écologique que les pays les plus industrialisés ont contracté vis-à-vis des pays les plus pauvres, et rompre avec le modèle de développement basé sur l'exploitation des ressources naturelles
- garantir que les pays du Nord assument leur responsabilités, pour que nos communautés puissent s'adapter et faire face aux conséquences du réchauffement

Le temps presse : nous n'avons que quelques années pour préserver la possibilité d'un futur libéré du chaos climatique. Ensemble, nous devons faire de la COP22 une étape déterminante dans le renforcement du mouvement pour la justice climatique

Fait à Casablanca, le 24 septembre 2016, à l'issue de la rencontre internationale convoquée par la Coalition Marocaine pour la Justice Climatique

 

Mireille Delmas-Marty, Aux quatre vents du monde. Petit manuel de navigation sur l’océan de la mondialisation, Paris, Seuil, 2016. € 17.

La mondialisation ne nous atteint guère que par ses pires effets : dérèglement climatique, terrorisme à l’échelle mondiale, désastre humanitaire des migrations, crises financières et sociales. La Terre et, avec elle, l’espèce humaine sont-elles ainsi en train de courir à leur perte ? Comment concilier les forces contradictoires qui agitent le monde ? Et comment gouverner l’univers planétaire qui se dessine sans recourir à la domination d’un seul – un dictateur sans doute ?
Pour esquisser une réponse d’ensemble à ces questions, une juriste de haut vol, Mireille Delmas-Marty, se mue en navigatrice proposant la fable envoûtante de la rose des vents, soit un faisceau de solutions possibles mobilisant les forces imaginantes du droit – en référence à de grandes résolutions internationales, depuis la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) jusqu’à la COP 21 (2015). Deux notions fondatrices inspirent cette fable toute métaphorique et aident son auteure à y voir clair. C’est, d’une part, l’idée basique d’interdépendance des groupes humains à l’échelle du monde mais également de ces mêmes groupes avec l’écosystème terrestre que l’on nomme Anthropocène ; de l’autre et découlant de la précédente, la nécessaire solidarité de l’être humain avec un autrui infini et de cet être avec son site de vie.
Mais revenons à la rose des vents et aux directions qu’elle indique, qui sont quatre de prime abord et huit pour suivre. Et c’est comme un grand jeu gouverné en l’occurrence  par un esprit soutenu de recherche d’équilibre. Pour Delmas-Marty, chaque branche de cette rose métaphorique peut figurer l’une des grands principes mobilisateurs de l’action humaine aujourd’hui mais tels que, par couples, ils tendent à s’opposer l’un à l’autre et à verser dans le conflit.
Le duo le plus exemplaire mis ici en exergue est sans doute celui de la Liberté et de la Sécurité. On sait combien les attentats terroristes s’accomplissant aux quatre coins du monde ont suscité une demande toujours accrue de protection de la part des groupes sociaux. Mais il s’ensuit forcément que tout renforcement de la sécurité ne se fait qu’aux dépens de la liberté individuelle ou collective. Comment dès lors trouver la juste mesure et échapper, par exemple, à une démagogie du tout-sécuritaire ? Un équilibre est sans cesse à rétablir et il passe par des conciliations difficiles, souvent orageuses, qu’elles s’inscrivent ou non dans des lois.

L’autre grand axe est celui de la Compétition opposée à la Coopération. Les traités d’échanges commerciaux qui se discutent actuellement entre continents de part et d’autre de l’Atlantique illustrent bien cette contradiction. Sous les dehors d’une collaboration, c’est une compétition acharnée qui se dissimule sans doute mais qui a aussi sa raison d’être. Toujours est-il que, par-delà ce cas particulier, l’ouverture des marchés, consécutive à la fin de la guerre froide, a eu des conséquences désastreuses pour les pays les plus fragiles. De là, d’énormes mouvements migratoires auxquels les pays riches ont grand mal à faire face. « Pour corriger, écrit l’auteure, les excès d’une mondialisation qui, au nom de la liberté d’entreprendre, tend à détruire la sécurité économique et financière, il faudrait équilibrer l’esprit de compétition et l’esprit de collaboration en appliquant le devoir de solidarité » (p. 91). Malheureusement, note-t-elle aussitôt, la solidarité ne fait pas encore partie des droits civils et politiques si bien que, comme on l’a vu, l’accueil fait à des sans-papiers est susceptible de transformer une volonté légitime de solidarité en délit de droit commun.
Vient en troisième position le couple Innovation-Conservation. D’un côté, le progrès scientifique et technologique, de l’autre, le devoir de préserver l’habitat terrestre mais aussi la santé. C’est la ligne du temps qui est ici primordiale. L’auteure évoque à ce propos et de façon plus que nuancée le principe de précaution-anticipation. Il est ici question de deux appréciations bien distinctes et qui concernent les évaluations à caractère juridique. « Il faut en effet déterminer un seuil, relève la juriste, qui tienne compte à la fois de la marge scientifique de vraisemblance et de la marge sociale de tolérance. » (p. 98). En fait, dans le cas par exemple de l’autonomie des robots, on atteint rapidement une limite où les distinctions se brouillent au risque également partagé de paralyser l’innovation et de mettre en danger la conservation.

Enfin l’opposition ultime est celle de l’Exclusion et de l’Intégration. L’actualité presse ici les politiques et les juristes de trouver sans retard des solutions efficaces. On songe à l’Allemagne de Merkel engagée dans un élan généreux et qui se voit forcée de corriger le premier mouvement sous la pression d’un parti populiste. L’auteure met ici en avant un « universel pluraliste » dont les réalisations pratiques sont, pour elle, toutes culturelles, soit l’échange dialogué, la traduction et la transformation réciproque telle que l’a définie le grand écrivain martiniquais Édouard Glissant et qu’il nomme créolisation.

Férue de solidarité, et l’on ne peut qu’applaudir, Mireille Delmas-Marty a appliqué ce principe majeur à la stylistique même de son beau livre. C’est d’abord sa Ronde des vents qui a le grand mérite d’introduire des souffles contradictoires dans un mouvement unique et circulaire (voir figure page 107). Mais c’est aussi que, de section en section de son ouvrage, l’auteure lie avec beaucoup d’art tout développement qu’elle propose à celui qui lui succède. Tout est décidément solidaire dans son analyse et elle le fait paraître au plus près de sa pensée et de son discours, tous deux d’une rare qualité. Ce qui nous vaut pour les temps actuels un véritable manuel de vie en société. À lire donc sans retard.